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Voyage intérieur by Ronca
2 janvier 2006

Le musicien

Le musicien - 2002

Il a comme seul art : la musique. Comme seul bien : un accordéon. Comme voie toute tracée : la ligne 10 du métro parisien. Ses refrains : ils les égrennent tout au long du jour, telle une litanie incessante.

Pour nous ce soir-là, il n’était qu’un quêteur parmi tant d’autres qui nous font leur récital chaque jour dans le métro. A force, tout le monde est blasé, chacun s’enfermant dans la lourde torpeur hivernale.

Face à cette intrusion, fatiguée par la journée, usée par l’incessant ballet des mendiants qui font les rames, j’étais excedée. Mon corps se crispa involontairement dès que j’entendis sa voix qui nous interpellais à travers tout le wagon. Toujours les mêmes têtes, chacun avec son message et son malheur en bandoulière. Certains sont tellement bien rodés et similaires (ton, message, hauteur de voix, attitude identique …), à croire qu’ils ont suivis une formation en mendicité.

Cette fois-ci, dès les premières notes, j’étais attentive. Je me suis rendue compte au bout de 2 minutes que mon esprit se mit à voguer, et que je lisais pour la énième fois la même ligne de mon magazine. Le wagon était bondé et j’hésitais à fourrager dans mon sac à la recherche d’une pièce, qui plus est, avec mon voisin qui s’était choisi comme occupation de lire mon magazine au-dessus de mon épaule. Je n’avais donc aucune envie de le divertir plus avant en lui permettant de scruter au fond de mon sac.

Et, une fois sa musique achevée, quand je vis passer le musicien la main tendue, sans un mot, tentant tant bien que mal de se frayer un chemin à travers les voyageurs, mon cœur se senti oppréssé : âgé, petit, le dos tassé, comme si le poids de la vie s’était plaqué sur ses frêles épaules, les cheveux blancs, le cou ridé, les mains crispées sur son accordéon, de ces mains qui ont traversé les épreuves de la vie… Comment rester indifférent devant tant de lassitude et de désert intérieur qu’exprimait chaque pouce de son corps ?

Comme à chaque fois, je me demandais quelle était leur vie, comment tout a basculé pour en arriver là. Ce jour-là, pratiquement personne n’a daigné lui donner une pièce, voire un regard ou un peu de chaleur au travers d’un sourire, tous devenus paresseux du portefeuille, devant l’afflux de la demande. C’est comme s’il était transparent.

Devant ce regard bleu, vide d’âme, comme si le peu qui lui restait d’espoir s’était envolé dans les airs avec sa musique, j’ai senti mes yeux s’embuer. J’avais envie de le suivre, de lui donner de l’argent, du réconfort, avec un geste, un regard, quelques paroles… Il en faut parfois peu pour réchauffer l’âme, pour signifier à l’autre qu’il existe, qu’il n’est pas qu’un fantôme errant dans les wagons.

Je le revois encore sur ce quai, hagard, regardant sans but autour de lui, comme se demandantoù trouver la force d’affronter encore et encore cette foule anonyme et impitoyable. Puis je le sentis résigné de tout, face à tant d’indifférence.

Certains silences blessent parfois bien plus que les mots.

Il m’a rappelé combien la vie peut parfois être lourde à porter.

Les portes du train se sont refermées alors même que je me levais pour le suivre, et je suis restée là, contre la vitre, à essayer de l’apercevoir une dernière fois, sa silhouette malingre s’éloignant de plus en plus. Il marchait, seul, le long du quai, les bras balants, le regard figé vers le sol. La dernière image qui me reste de lui, c’est lorsqu’il a penché la tête pour s’allumer une cigarette, le visage faiblement éclairé par le halo du feu.

Je m’en suis voulu de ne pas avoir cédé à mon impulsion de solidarité. J’ai été happée par la masse, cette foule qui anesthésie, qui nous pousse à fermer les yeux devant la misère humaine, et ce n’est pas un vain mot. Il faut beaucoup de courage pour sortir de cette torpeur. C’est toujours le premier pas qui coûte.

Ainsi est notre société d’aujourd’hui, chacun s’attache à rendre son univers opaque aux autres et à leurs soucis. L’homme est ainsi fait qu’il préfère s’engoncer dans son cocon douillet et son confort, plutôt qu’affronter la détresse des autres.

A croire que la misère est contagieuse, plus personne ne veut s’y frotter.

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